jeudi 5 mars 2020

La Maison.

J’ai rêvé de cette porte dérobée et cachée dans la vieille maison de ma tante à d'innombrables reprises. Quelquefois , elle était dissimulée sur le mur de pierre dans la chambre froide. D’autres fois en arrière du mur dans la salle de bain. Était-ce la même porte? Je n’en sais rien. Celle de la chambre froide donnait accès à un long corridor en pierre, parsemé de moisissures qui se terminait par une porte, en fer, à demi ouverte. Au-delà de cette porte, un autre corridor se perdait dans l’obscurité. Je ne suis jamais allé plus loin que le bas de la porte. Jamais je n’ai osé pénétrer dans ce deuxième corridor de peur de m’y perdre et ne jamais revenir dans le monde de l’éveil. La deuxième s'ouvrait comme une porte de grange et donnait accès à un immense entrepôt qui défiait, par sa grandeur, nos lois de la physique. Au fond de ce gigantesque lieu, une autre porte donnait accès à un garage où reposaient de vieux appareils et outils agricoles. Un escalier permettait de monter à un étroit étage qui faisait le tour la salle et était complété par un bureau fermé. En bas, à droite, une porte laissait passer un léger filet de lumière solaire. Je n’ai jamais ouvert cette porte qui semblait s’ouvrir sur l’extérieur. Mais quel extérieur?

J'essaie de me souvenir des moindres détails du temps passé dans cette vieille maison à l’aspect inquiétant pour comprendre pourquoi ce rêve vient troubler mon sommeil si souvent. J’ai été souvent dans la maison de ma tante. J’y ai passé d’agréables moments. J’y ai fait des expériences de vie qui ont façonné mon être présent. J’ai joué dans les dédales de cette maison avec mes cousins et cousines. J’ai fêté les fêtes de Noël avec ma famille dans son sous-sol accueillant et son salon confortable. Rien dans mes souvenirs ne me donne un commencement de piste pour comprendre ce rêve récurrent.

Elle était habitée par ma tante, une dame distinguée qui portait une attention toute particulière à l’entretien de sa vieille maison. Mon oncle y vivait aussi. Homme taciturne, mais non dépourvu de bonté. Travailleur de ses mains, cachottier et énigmatique. Mon cousin y vivait aussi avec ses deux parents. Plus vieux et plus grand que moi. Passionné de lecture. Gardien absolu de sa chambre qui était un antre de découverte pour le jeune homme que j’étais. Livres et revues interdites qui réveillaient en moi des désirs inconnus et insoupçonnés, qui étaient bêtement cachés dans le fond d'une garde-robe pêle-mêle. J’avais de bonnes relations avec les trois occupants de cette maison. Elle était un peu comme la mienne. En tous les cas, je m’y sentais comme chez nous. Donc, rien ne pouvait conclure que ce rêve découlait d’une mauvaise expérience que j’aurais vécue avec eux.

Il y a bien quelques comportements et actions peut convenables que j’ai fait mais rien qui n’était pas relié et explicable par mon jeune âge et le désir de découverte qui vient de pair avec cette jeunesse. Des bagatelles d’enfants, des cachettes entre amis, des jeux d’enfants, rien de bien grave et de traumatisant. J’ai beau chercher dans ma mémoire, ouvrir tous les tiroirs de mon palais mental pour essayer de trouver un point commun entre le monde réel et onirique, j’en suis incapable.

J’ai longtemps voulu retourner dans la vieille maison de ma tante à un âge plus avancé. Avec un esprit plus terre à terre, moins enclin à interprétation de toute sorte. Mais le temps, ou la volonté m’a manqué. Elle existe toujours, perchée sur cette butte. Entourée de cette luxuriante forêt de conifères. Le chemin asphalté qui monte vers la porte d’entrée est encore présent, bien qu’il soit envahi par les mauvaises herbes. La roche, qui trône en avant de l’entrée est toujours à son endroit dans sa magnificence. La vieille galerie jonche encore le devant de la maison qui fait face au chemin coupé par une lisière d’arbres. La vieille grange de mon oncle est encore debout, à une distance raisonnable de la maison. Les fenêtres nous regardent encore et il me plaît à y voir nos silhouettes passer devant dans mon esprit. Le mystère est donc entier et jamais, peut-être, je ne comprendrais pourquoi cette demeure hante mes rêves. Peut-être veut-elle me faire comprendre quelque chose.

J’ai longtemps laissé ce désir de comprendre ce rêve traîner dans mon esprit, mais avec le temps il a pris place comme un vague souvenir. Jusqu’au jour où ma fille de 7 ans me raconta son rêve qu’elle avait fait. Elle me parla d’une étrange maison avec une galerie et une roche devant l’entrée mais, surtout, d’une porte, perdue dans une petite salle en pierre où il fait froid. Sur le moment, mon esprit c'est pétrifié et la panique m’a envahi. J’ai couru chercher une vieille photo de la maison de ma tante dans l'un de mes albums-souvenirs pour demander à ma fille si c’était bien cette maison qu’elle avait vue en rêve. Sa réponse affirmative m’a laissé de glace. Le reste de la journée s’est déroulée au ralenti. J’ai été perdu dans mes pensées et j’essayais de comprendre pourquoi ce rêve était maintenant dans l’esprit de ma fille. J’ai décidé de garder cette information pour moi pour ne pas inquiéter ma conjointe avec cette histoire qui peut sembler irréelle. Aussi, j’ai commencé des recherches approfondies sur l’histoire de la maison. Ce qui fut facile dans cette époque où l’information est à la portée de tous.

Mes recherches ne m’apprirent rien de plus que je savais déjà. La maison était âgée d’une centaine d’années. Elle fut l’une des premières construites dans cette partie de la ville. Mon grand-père maternel avait participé à cette construction et elle était dans notre famille depuis ce temps. Je n’ai rien trouvé d’étrange dans les archives de la ville par rapport à la maison ou encore dans le quartier où elle était nichée. J’étais donc encore au point de départ et étais persuadé que la réponse se trouvait soit dans la maison ou encore dans mes rêves. La première conclusion était plus facile à vérifier puisque mes parents demeurent encore dans la ville de mon enfance. Il était donc facile pour moi, lors de mon prochain voyage familial, prétexter une petite virée nostalgique en solitaire pour monter l’immense côte et me rendre à la maison. C’est d’ailleurs ce que je préparais, car retourner visiter la maison en rêve me paraissait dangereux et hasardeux avec l’histoire de ma fille. Mais je me devais de faire vite pour que les rêves de ma fille soient exempts des miens. Et de plus, j’espérais qu’ils ne commencent pas à venir déranger le sommeil de mon garçon de 4 ans.

J’ai donc décidé, conjointement avec mon épouse, de préparer un petit voyage pour rendre visite à mes deux parents. Ce qui les rendrait forts de bonne humeur ainsi que mes enfants. Mais tout au long de l’attente du départ, mes pensées étaient tournées vers ce rêve et vers ma fille qui l’avait partagé, bien malgré elle, avec moi. Nous sommes donc parties, une belle journée d’été, vers la ville de mon enfance. Voyage sans anicroche aucun qui s’est déroulé dans la joie et l'excitation de part et d’autre. L'excitation de revoir leurs grands-parents pour mes enfants et l’excitation de la confrontation entre la maison et moi pour qu'elle me révèle son message. Arrivé à la demeure de mes parents, subtilement, je me suis enquis des dernières nouvelles de ma vieille tante et de mon cousin qui, aux dernières nouvelles, demeurait seul dans la maison. Mon vieil oncle était parti de ce monde depuis fort longtemps déjà. Ma vieille tante demeurait toujours avec son nouveau compagnon et n’allait plus jamais dans sa vieille demeure. Elle souffrait de plus en plus de la vieillesse et, par bonté et amour, je me suis décidé à la laisser en dehors de cette histoire. Mon cousin ne vivait plus depuis presque cinq ans dans la maison. Il avait déménagé en ville, plus proche de son travail, et était présentement en voyage d’affaires à l’extérieur. Ce qui ne me dérangeait point puisque je ne voyais pas comment il aurait pu m’apporter assistance ou réponse dans ma recherche. J’avais donc le champ libre pour mettre mon plan à exécution et prétendre vouloir être seul quelques heures pour me retrouver dans mes souvenirs de jeunesse. Ce qui ne sema aucun doute dans l’esprit de tout le monde. Et c’est en fin d’après-midi que j’ai décidé de partir pour aller à la rencontre de la maison.

Le trajet pour me rendre à la maison est court, moins de 10 minutes en voiture, mais il m’a paru durer une éternité. Mon corps et mon esprit étaient assaillis de plusieurs sentiments. Mais de tous ses sentiments, la peur était celui qui dominait. Car je ne savais pas ce que j’allais découvrir ou même si j’allais découvrir quelque chose. Mais je me devais de trouver une réponse, car je n’étais plus la seule personne concernée par ce rêve maintenant. Bien vite, perdu dans pensées, je suis arrivé devant l’allée qui monte vers la maison. J’ai stationné ma voiture dans le petit espace devant la porte, juste à côté de l’immense roche et je suis sortis. Devant la porte, la maison me regardait, me scrutait. Comme si elle sentait ma présence. J’ai pris le petit sac de côtés où j’avais mis mon équipement de fortune pour cette expédition. Une lampe de poche avec une batterie supplémentaire. Une barre à clous pour ouvrir la porte si nécessaire. Un couteau pour le sentiment de sécurité. Un appareil photo pour les preuves, si preuves il y avaient. Et une photo de ma famille. J’étais prêt à enfin trouver la réponse.

Je me suis dirigé rapidement vers la porte, sans hésitation pour ne pas laisser le doute envahir mon esprit. La porte était bien entendu verrouillée. J’ai donc décidé de la forcer avec la barre et rapidement la porte céda devant la rigidité du fer de la barre. J’ai serré la barre dans mon sac, pris ma lampe de poche et le couteau et me dirigea au sous-sol, vers la chambre froide. Tout était comme dans mes souvenirs malgré la poussière et les marques d’abandon qui commençaient à être visibles. L’escalier qui menait au sous-sol était en face de la porte. Il n’était pas très grand, quelques marches seulement. Il se terminait sur un petit espace qui se séparait en trois. À gauche, une immense garde-robe. À droite, la salle d’eau et de lavage où était située une des portes de mon rêve. Et en avant, le salon du sous-sol qui dominait la pièce de long en large. Dans le milieu du salon, une porte en bois, capitonnée de faux cuir brun était encastrée dans le mur. C’était la porte de la chambre froide. Chambre où étaient entassés, autrefois, bouteilles de vin, cannages et victuailles. Lampe à la main, car il n’y avait plus aucune électricité dans la maison, je me suis approché de la porte. Avec hésitation, je l’ai ouverte pour y découvrir la pièce comme dans mes souvenirs, mais vides de tout contenu.

Petite pièce rectangulaire, plus large que profonde. Des tablettes vides étaient accrochées au mur de pierre. De vieilles caisses vides traînaient sur le sol. Une odeur de moisie et d’humidité était présente et a envahi mes narines laissant remonter à la surface des émotions et souvenirs. Et c’est là que je l’ai vu en vrai pour la première fois de ma vie. À droite de la chambre froide se dessinait une structure dans la pierre à la forme d’une porte. Un anneau y faisait référence comme poignée. Elle était en tout point identique à mon rêve, mais jamais je ne l’avais vue dans le monde réel. La porte dérobée était bien présente. J’ai parcouru les quelques pas qui me séparaient de la porte onirique et empoigné l’anneau pour le tirer vers moi, ce qui fit ouvrir la porte dans un bruit de grincement qui résonna encore et encore dans la maison vide. En arrière de la porte, un long corridor droit était façonné dans la pierre. Il se terminait par une porte en fer à demi ouverte. Je pouvais la voir de l’entrée. C'était la fameuse deuxième porte que je n’ai jamais franchie dans mon rêve. J’ai vérifié ma lampe et j’ai pénétré dans le corridor. Comme dans mes souvenirs oniriques, des moisissures parsemaient les murs et le sol. L’odeur était encore plus présente et l’humidité était pesante. Quelques minutes me suffisent à me rendre à la deuxième porte. Toute de fer, elle était entrouverte et laissait place à un nouveau corridor, qui tournait à gauche et qui se perdait dans les ténèbres de l'obscurité. J’étais rendu au plus loin de mes voyages en rêve. Jamais je n’avais mis les pieds dans ce corridor, mais si je voulais des réponses pour mettre fin à cette histoire, je me devais, maintenant, d’y pénétrer et de faire face à mes peurs.

Ainsi, j’ai passé la porte et j’ai commencé l’exploration du corridor. La présence de moisissures était plus grande. Des touffes d’herbes fendaient la pierre du sol. En plus de l’odeur d’humidité et de moisie, une de terre venait se joindre pour former un trio fort désagréable. Je me suis donc enfoncé dans ce corridor obscur qui semblait ne pas avoir de fin. À un moment, je me suis rendu compte que je voyais plus la lumière qui venait de l’autre côté de la porte. Pourtant, j’avais toujours marché en ligne droite et je n’avais pas fait assez long pour ne pas la distinguer. Paniqué, j’ai commencé à rebrousser chemin, mais la lumière n’a jamais réapparu. Il ne me restait que ma lampe pour éclairer les ténèbres de ce corridor. Comment était-ce possible? Pourquoi la porte n’était plus là. L’odeur commençait à me donner des haut-de-cœur et la sueur commençait à perler le long de mon cou et de sur mon visage. J’ai continué mon chemin pour rebrousser chemin, mais je ne voyais que des murs de pierre défiler à côté de moi. La peur commençait à me faire douter de ma raison. Où étais-je rendu? Redoublant d’efforts, j’ai accéléré le pas vers ce qui me sembla être le chemin de la sortie et j’ai glissé sur une pierre imbibée de terre et d’herbes. Ma lampe se brisa sous l’impact de ma chute et je me suis retrouvé dans le noir le plus complet. J’ai crié de toutes mes forces pour appeler à l’aide, mais la seule réponse que j’ai obtenue est l’écho de ma voix. Je me suis relevé, péniblement, et j’ai continué mon chemin en tenant les murs. Par trois fois j’ai glissé et par trois fois je suis tombé. Ma dernière chute fut très douloureuse, car ma tête heurta le mur et j’ai eu l’impression de perdre connaissance quelques instants. Et c’est à ce moment que j’ai entendu une voix, lointaine, qui me disait de revenir. Je me suis relevé, couru vers la direction de la voix qui devenait de plus en plus proche. Elle prononçait mon nom, mais j’étais incapable de la reconnaître. Après un certain temps, j’ai aperçu une lumière, sûrement celle de la porte et je m’y dirigeai. La lumière se fit de plus en plus forte au point d’en devenir aveuglante. La voix aussi devenait assourdissante. J’ai continué ma marche le plus longtemps que je pouvais, mais, en arrivant devant ce qui me semblait la sortie, je me suis évanoui devant cette lumière et cette voix intenable.

Je me suis réveillé sur le sol de la chambre froide, entouré de personnes aux silhouettes floues. Il m’a fallu quelques instants à mes yeux pour faire le point. Et il aurait été préférable pour moi qu’ils n'y arrivent pas. J’avais devant moi ma cousine qui tapait ses mains devant mon visage pour me réveiller. J’ai aussi aperçu mon cousin qui, frénétiquement, me brassait le bras dans l’espoir de me réveiller. La chambre froide était remplie de bouteilles de vin, de caisses, de cannes et de nourriture. Complètement désorienté, j’essayais de comprendre ce que ma cousine et mon cousin me criaient. Et j’ai cru comprendre que j’étais tombé en me cognant la tête durement sur le sol. Mais je n'en avais aucun souvenir. Les seuls souvenirs qui prenaient place dans ma tête étaient ceux de ma famille, de ma fille et de mon garçon et de ma conjointe. La peur et l'incompréhension dominaient mon esprit et j’ai sombré de nouveau dans l’inconscience. Le reste est comme un rêve. Une brume a pris place dans ma tête et j’ai de la difficulté à me souvenir. Tout ce que je sais, c’est que du fond de ma cellule capitonnée, dans ce corps d’enfant qui fut le mien jadis et dans une époque qui n'est la mienne que de corps, mais pas d'esprit, j’essaie depuis ce temps de retrouver ma famille dans mes rêves, mais j’ai bien peur que jamais je ne vais réussir.

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